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Analyse | Est-il possible de réformer les institutions financières internationales?

 

Par Hakim Ben Hammouda
Ancien ministre des finances ­— Directeur exécutif GI4T

La crise financière que traverse notre pays depuis un certain temps et l’accord avec le FMI que beaucoup considèrent comme le début de la solution ont poussé de nombreux Tunisiens à s’intéresser aux institutions financières internationales et à essayer de comprendre leurs missions et leurs méthodes de travail. Cependant, cet intérêt est resté lié à la situation économique nationale et à la capacité de ces institutions à soutenir nos efforts pour sortir de cette crise financière.

En tant qu’observateur de ces institutions depuis de nombreuses années, que ce soit du point de vue de la recherche et de l’étude ou du point de vue professionnel en raison de mon expérience dans de grandes institutions internationales, je pense que les difficultés que notre pays traverse en ce moment sont l’expression d’un problème majeur et d’un défi plus large qui concerne l’incapacité de ces institutions financières internationales à se tenir aux côtés des pays en développement et à les soutenir face aux crises majeures que le monde traverse.

La plupart des pays en développement font face aujourd’hui à un accroissement de la dette qui menace nombreux d’entre eux de faillite. Cet endettement devenu insoutenable est dû à la pandémie de Covid-19, au fort recul de l’activité économique dans le monde et à la récession sans précédent qu’ont connus la plupart des pays en développement. L’augmentation des prix des matières premières telles que le pétrole et le gaz, ainsi que les prix des denrées alimentaires et des céréales, en raison de la guerre russe en Ukraine, ont également contribué aux difficultés financières auxquelles sont confrontés les pays en développement et l’accroissement rapide de la dette. L’inflation mondiale et la récession mondiale ont aggravé la situation avec la fin des politiques monétaires expansionnistes des banques centrales et l’augmentation des taux d’intérêt, aggravant ainsi la charge de la dette dans la plupart des pays du Sud.

Outre ces crises financières, il faut également mentionner plusieurs autres crises, notamment la crise sanitaire, où la pandémie de Covid-19 a révélé la fragilité de la situation sanitaire, en particulier dans les pays en développement, ce qui nécessite de gros investissements que les gouvernements n’ont pas pu réaliser. Dans le même temps, il convient de mentionner les répercussions du changement climatique, qui ont connu une accélération importante ces dernières années, entraînant une diminution des précipitations, et l’accroissement des sécheresses et des famines, qui ont beaucoup affecté la production agricole et économique en général.

Le monde vit donc dans une situation difficile, où il est important de trouver des réponses pour sortir de ces crises et soutenir les pays en développement afin de réduire l’endettement et de renforcer leur économie et leur capacité à faire face à ces défis majeurs.

Pour beaucoup, les institutions financières internationales sont capables et qualifiées pour faire cet effort financier et ces investissements majeurs afin de faire face aux grands risques et sortir de ces crises. Cependant, un consensus s’est aujourd’hui établi sur l’incapacité des institutions financières internationales à relever ces défis et à aider les pays à faire face aux grands risques qui nous menacent, créant un climat de frustration et de peur pour l’avenir.

Dans ce contexte, des appels ont été lancés ces derniers mois par différentes parties pour entreprendre de grandes réformes dans les institutions financières mondiales afin de renforcer leur efficacité pour faire face à ces grands risques financiers et soutenir les efforts de la planète pour faire face au changement climatique. Cet appui permettra aux pays en développement d’améliorer leurs grands équilibres macroéconomiques et échapper aux crises financières et au spectre de la faillite. Ces discussions et ces débats sur l’avenir des institutions financières internationales ont été à l’ordre du jour des réunions de printemps du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale cette semaine du 10 au 16 avril 2023 à Washington. Cette question sera également au cœur de l’intérêt des experts et des responsables politiques et économiques au cours des semaines et des mois à venir. Plusieurs rencontres auront lieu pour approfondir la réflexion et définir les réformes nécessaires pour améliorer l’efficacité de ces institutions et leur capacité à soutenir les efforts des pays à faire face aux grands risques économiques, financiers, climatiques et sociaux.

La question qui se pose avec force et qui préoccupe tous les observateurs concerne la capacité des institutions financières internationales à apporter des réformes majeures à leurs missions, leurs méthodes de travail et leur gouvernance. La plupart des tentatives de réforme de ces institutions dans le passé, en particulier après la crise financière mondiale de 2008 et 2009, ont connu un succès limité, voire un échec, et le grand défi aujourd’hui concerne la capacité de ces institutions à introduire un vent de changements capables de renforcer leur efficacité. Ces doutes sont d’autant plus permis que les réformes pourraient entraîner une perte d’influences des grandes puissances au sein de ces institutions au profit des nouveaux pays émergents.

Les institutions financières internationales ont connu de nombreuses transformations et évolutions au cours de leur longue histoire, leur permettant de faire face aux grands défis de l’économie mondiale et d’aider les pays à les affronter. Cependant, cette capacité de réforme et de transformation s’est trouvée réduite au cours des dernières années, en particulier après la crise financière de 2008 et 2009, ce qui a entraîné une perte d’efficacité et d’efficience.

Ce déclin a été à l’origine de nombreuses voix, y compris d’anciens responsables de ces institutions financières, appelant à la révision de leurs missions et des méthodes et des outils d’intervention de ces institutions. Ces appels se sont accélérés au cours des dernières semaines avec l’organisation d’un grand nombre de réunions officielles, de rencontres et de colloques, ainsi que la publication de nombreuses études proposant des idées pour améliorer le fonctionnement de ces institutions et leur donner un nouvel élan.

La question centrale demeure quant à la capacité de ces institutions à entreprendre ces réformes pour développer et renforcer leur efficacité et leur capacité à soutenir les efforts des pays en développement pour faire face aux risques majeurs.

Aux origines des institutions financières internationales 

Lorsque la Seconde Guerre mondiale touchait à sa fin avec la défaite de l’Allemagne nazie, les Alliés, sous la conduite des Etats-Unis d’Amérique, qui va devenir la puissance prédominante, ont entamé les réflexions et les pourparlers sur le monde d’après-guerre. Ces pays se sont réunis à Bretton Woods, dans l’État du New Hampshire, pour établir les principes et les institutions du système économique mondial de l’après-guerre en 1944. Les principaux participants à ces réunions étaient l’économiste britannique John Maynard Keynes, devenu l’un des économistes les plus importants du XXe siècle suite à l’adoption de ces prescriptions de politique économique pour faire face à la crise de 1930, et qui a dirigé la délégation britannique, d’une part, et Harry White, qui a dirigé la délégation américaine, d’autre part. Malgré la pertinence et le réalisme des propositions de Keynes, la délégation américaine a imposé ses opinions lors de cette réunion qui a duré trois semaines du 1er au 21 juillet 1944 pour définir les principes et les règles du système économique mondial de l’après-guerre.

Le nouveau système mondial reposait sur des principes de transactions commerciales et financières entre pays qui ont consacré la suprématie du dollar, qui est devenu la seule monnaie internationale convertible en or. En même temps, ces réunions ont décidé de créer deux institutions financières mondiales, dont le siège est à Washington. La première est le Fonds monétaire international (FMI), qui s’occuperait de la stabilité financière mondiale et soutiendrait les pays confrontés à de grandes difficultés dans leur balance des paiements pour éviter les crises financières et les dévaluations à répétition qui ont renforcé la crise l’économie mondiale dans les années 1930. La seconde institution est la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (Bird), connue aujourd’hui sous le nom de Banque mondiale, qui aurait pour tâche principale la reconstruction de l’Europe après la guerre.

Ces deux institutions ont constitué le noyau du système financier international, qui a été renforcé par d’autres institutions depuis les années 1960, notamment par l’apparition de banques régionales de développement sur tous les continents, comme la Banque africaine de développement et d’autres institutions. Ce groupe est appelé les banques multilatérales de développement plus connus en anglais sous l’appellation «Multilateral Development Banks» ou l’acronyme MDBs.

Ces institutions vont constituer au fil des années une communauté financière soudée et partageant les mêmes principes, les méthodes de travail, les règles et les procédures de fonctionnement. Mais le point commun le plus important au sein de cette communauté des institutions financières internationales concerne la convergence de leurs grandes priorités ainsi que des politiques mises en œuvre dans les pays membres. Par ailleurs, ces institutions sont convenues d’une division de travail entre ces différents membres ainsi qu’une grande coordination et cohérence dans leurs actions.

Dans le cadre de cette coordination, le FMI joue un rôle majeur dans la mesure où il supervise les grands équilibres macroéconomiques des pays et par conséquent l’obtention d’un accord avec lui est devenue une condition pour parvenir à un accord avec les autres institutions.

Cette communauté a connu de grandes mutations et des transformations majeures dans son histoire qui lui ont permis de s’adapter aux grands changements mondiaux et d’aider les pays membres à relever les nouveaux défis.

Les transformations historiques du système financier international

L’efficacité et l’efficience du système financier international résident dans sa capacité à se transformer et à changer pour faire face aux nouveaux changements et défis de l’économie mondiale auxquels les pays sont confrontés. Dans l’histoire de ces institutions, nous avons identifié cinq grandes transformations qui leur ont permis de renouveler leur rôle, leurs priorités et leurs outils.

La première transformation remonte au milieu des années 1960, lorsque ces institutions ont abandonné leurs tâches originelles visant à soutenir les pays développés pour se tourner vers les pays en développement afin de soutenir les expériences et les politiques de développement qui avaient été mises en place dans la plupart des pays du Sud après leur indépendance. Pendant cette période, ces institutions maintiendront la même répartition des tâches, le FMI se concentrant sur le soutien des grands équilibres macroéconomiques, tandis que la Banque mondiale se tournera vers le financement des besoins en infrastructures des pays du Sud.

La deuxième transformation, qui a suscité beaucoup de débats et de critiques envers le système financier international, et en particulier le FMI et la Banque mondiale, est liée à leur implication dans la gestion orthodoxe de la crise de la dette qui s’est déclenchée à la suite du premier défaut de paiement du Mexique au cours de l’été 1982. Ces deux institutions ont été à l’origine des politiques néolibérales des programmes d’ajustement structurel, dont l’application est devenue une condition pour obtenir le soutien du système financier international pour les pays du Sud confrontés à la crise de la dette. Ces orientations et choix ont suscité de nombreuses critiques de la part d’organisations de la société civile, voire de certaines organisations des Nations unies, en raison de leurs répercussions sociales et de l’accroissement de la pauvreté extrême et de la marginalisation sociale dans la plupart des pays du Sud.

Ces controverses et ces critiques ont conduit à une nouvelle transformation des priorités et des choix du système financier international au début des années 1990. La lutte contre la pauvreté et le soutien à l’accès aux besoins, notamment l’éducation et la santé, sont devenus la priorité de ces institutions, tout en soulignant l’importance d’une bonne gouvernance pour améliorer l’environnement économique et social dans les pays en développement.

La quatrième transformation a commencé au début du millénaire, où la priorité sera de retrouver une forte croissance. La plupart des études ont souligné que la lutte contre la pauvreté ne peut se limiter à aider les pauvres, mais doit faire du retour d’une croissance forte une locomotive pour lutter contre la pauvreté.

La cinquième transformation s’est produite avec les révolutions du printemps arabe, qui ont montré les limites des politiques de stabilisation et du maintien des grands équilibres macroéconomiques qui ne peuvent pas être un objectif en soi, comme ces institutions l’ont souligné depuis les années 1990. Ces révolutions ont également montré que les inégalités sociales, la marginalisation et l’exclusion constituent une menace pour la stabilité politique des pays. Le changement climatique a commencé également à susciter beaucoup d’inquiétude et de peur. Dans ce contexte, les questions d’inclusion sociale et de développement durable deviendront les grandes priorités des institutions financières internationales.

Malgré sa capacité à évoluer et à se transformer pour faire face aux nouveaux défis, le système financier international semble impuissant et incapable de faire face aux défis et aux grands risques auxquels l’économie mondiale est confrontée, en particulier dans les pays en développement.

Les voies de réforme du système financier international

La question de la réforme du système financier mondial a suscité beaucoup de débats, avec l’organisation de nombreuses conférences et discussions, notamment les conférences organisées par le FMI et la Banque mondiale à l’occasion de leurs réunions annuelles. Par ailleurs, nous avons enregistré la publication de nombreuses contributions et propositions pour réformer ces institutions et soutenir leur efficacité face aux grands défis et risques. A mon avis, la réforme doit se concentrer sur cinq questions fondamentales.

La première question concerne les ressources financières de ces institutions, qui peuvent sembler importantes si nous les comparons aux besoins des pays pris individuellement, mais qui sont en réalité faibles si nous les comparons aux besoins de l’ensemble des pays. Cela nécessite de lever les contraintes techniques et financières pour permettre à ces institutions de mobiliser des ressources financières à la hauteur des défis mondiaux. La deuxième question concerne les politiques et les orientations que ces institutions cherchent à appliquer dans les pays en développement, et qui sont dominées par ce que nous appelons en anglais le principe du «one size fits all» ou des politiques qui sont appliquées dans tous les pays. Bien que cette approche ait été appropriée au début de ce système, la grande diversité des pays en développement nécessite de laisser de côté cette approche collective et d’essayer d’ajuster les politiques en fonction des spécificités et des niveaux de développement de chaque pays. La situation de notre pays est un exemple vivant de l’échec de cette approche collective. Malgré les spécificités de la situation politique et sa fragilité et les difficultés de la transition démocratique, ces institutions ont tenu à appliquer les mêmes politiques et réformes proposées pour les pays ayant une plus grande stabilité politique.

La troisième question à l’ordre du jour de la réforme du système financier international concerne la gouvernance et la nécessité de donner une place plus importante aux pays du Sud dans la prise de décision au sein de ces institutions.

La quatrième question concerne la coopération et l’effort de coordination entre les différentes institutions au sein des pays, qui, malgré leur développement au cours des dernières années, restent limitées, ce qui représente un fardeau pour les pays.

La cinquième question concerne la possibilité pour ces institutions de s’ouvrir à la collaboration avec le secteur privé pour fournir des ressources financières plus importantes.

Malgré les demandes urgentes de réformes majeures du système financier international, de nombreuses personnes critiquent la lenteur de ce processus et expriment un certain pessimisme quant à la capacité de ces institutions à améliorer leurs méthodes de travail et leurs principes. Cette lenteur a poussé de nombreux pays, en particulier les nouvelles puissances émergentes des Brics, à créer de nouvelles institutions financières internationales dont la New Development Bank.

Les raisons de cette lenteur ne se limitent pas aux aspects techniques et administratifs, mais incluent également des aspects politiques importants, car ces réformes conduiront au recul des grandes puissances dans la gouvernance de ces institutions.

Les difficultés que notre pays rencontre dans ses relations avec les institutions financières internationales sont en partie le reflet de la crise de ce système et de son incapacité à entreprendre les réformes nécessaires pour soutenir la résilience des pays du Sud face aux risques majeurs. Il s’agit d’une question importante que nous devons prendre en considération dans la définition de nos priorités de sauvetage et de relance de notre économie.

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